Le Pas du Vice

Je suis nostalgique de la vie toulousaine, où chaque dimanche nous partions en expédition avec notre sac à dos, butiner les différents étals garnis de produits locaux succulents. On passait du maraîcher au laitier, du boucher au vendeur d'œufs, de champignons, de vin, de miel ou de macarrons maison; partageant un petit moment privilégié avec chacun de ces artisans fiers de leur produit.

À Montréal, il existe le marché "Jean Talon" où l'on peut retrouver ce genre d'ambiance dans un décor à la taille de la ville. Le prix n'est pas beaucoup plus élevé qu'ailleurs et les denrées locales foisonnent tout autour de ce marché situé au coeur du quartier de la "Petite Italie".

C'est à peu près 40 minutes de transport en commun qui nous séparent de cet eldorado que nous fréquentons occasionnellement, quand le temps est de la partie et que le courage alimente notre volonté d'agiter nos papilles gustatives rouillées par les saveurs du supermarché.

C'est au supermarché d'à côté que nous garnissons généreusement notre réfrigérateur de viande hachée sous cellophane, de fromage parallépipédique qui ne mérite pas cette appellation ou de légumes irradiés, incapables de mourir, même après 2 mois passés à l'air libre. Nous retrouvons les joies de déambuler dans les rayons, où les emballages savoureux et accrocheurs ne sont là que pour masquer l'indéniable uniformatisation des goûts. La mascarade publicitaire est la même partout et malheureusement, nous la cautionnons chaque semaine.

Lors de notre dernière visite au temple de la consommation, nous avons eu la chance d'être interpellé par une sorte de camelot du rayon bière. Par habitude, je fuis ce genre de dégustation qui ne fait que prolonger ma présence dans ce lieu, générant chez moi un stress latent patent. Devant l'insistance de la vendeuse et l'appel de ma curiosité, je me suis laissé aller à une nouvelle expérience. L'étal contenait différentes bouteilles translucides laissant apparaître un liquide qui ne l'était pas moins. De chaque côté de la table, des seaux à champagne remplis de glace trônaient au dessus de pack de bière de couleur rouge sang.

- "Le produit "Boris" est fabriqué à Laval (banlieue nord de Montréal)" se targue tout de suite la vendeuse.

Je fus instantanément conquis à l'idée de découvrir un produit local dans des bouteilles qui me rapellaient vaguement quelque chose. Elle m'annonce que le liquide transparent est un "cooler": une boisson composée d'un alcool, de soda et d'un sirop pour arômatiser de tout. Le mélange des ingrédients dans mon cerveau provoca immédiatement l'emergence du souvenir des premières cuites et l'arrière goût de vomi qui venait de se manifester me força à décliner l'invitation de dégustation. Notre hôtesse rebondit, et nous proposa de goûter la bière "Boris", en nous annonçant fièrement que les bouteilles étaient importées d'Alsace.

Loin de toucher ma fibre patriotique, je me lancai dans l'absorption de la dite bière et d'un seul coup tout s'éclaira. Le goût fade d'une "Valstar", le tout dans une petite bouteille trapue en forme de suppositoire : je fis un bond dans le temps. Durant plusieurs années de jeunesse, je me saoulais avec de la bière de maçon du genre "33 export" ou "Kro" pour finalement retrouvé au pays de la bière une entreprise qui s'éfforce de copier cette abomination houblonneuse.

Ce n'est que par politesse que j'acceptai de goûter la dernière trouvaille de cette compagnie : une bière de 500 ml à 2.25 dollars avec, inscrit dessus, le pourcentage d'alcool du brevage, 8.6%. L'image de tous ces S.D.F que j'ai vu faire la queue au "LIDL" pour se procurer de la 8.6% me revint instantanément en tête.

J'ai bien l'impression que l'on n'a pas fini de voir ces canettes rouges dans la rue... ou dans la cour des Lavalois se targuant d'avoir le plus gros barbecue du quartier!

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